Interview

Coup de fil

Afrikabar

Vlad, Solo et leurs Mercenaires de l’Ambiance reviennent pour une grande première : le tout premier Bal de L’Afrique Enchantée dédié aux musiques réunionnaises. Enfin pas vraiment.

Vladimir est ravi. Connaisseur amoureux de La Réunion et de ses musiciens, il débarque ce mois-ci avec ses compères Mercenaires pour une expérience inédite : créer un Bal de l’Afrique Enchantée spécial Réunion. L’idée est née il y a deux ans, lors de son dernier passage au Téat Plein Air, où sa troupe avait invité sur scène Zanmari Baré et Olivier Araste pour quelques morceaux en commun. La direction du Téat suggère alors aux deux griots d’Inter de consacrer une soirée entière aux musiques insulaires. « Tu penses bien qu’on a dit oui tout de suite ! », rigole Cagnolari de sa voix enjrouée (enjouée + enrouée), trop heureux de pouvoir rencontrer des artistes qu’il suit depuis longtemps, mais avec lesquels il n’avait encore jamais pu travailler. Nathalie Natiembé, Danyèl Waro, Bernard Joron ou Vincent Philéas viennent donc grossir les rangs du régiment baroudeur qui s’apprête à établir un QG temporaire sur le caillou, base arrière d’expéditions vers le continent, Madagascar, le Cap-Vert ou l’Amérique Latine, à la recherche d’échos mélodiques ou culturels à notre histoire dans le vaste monde de la diaspora africaine.

C’est quoi, exactement, l’idée du Bal Réunionnais de l’Afrique Enchantée ?
L’idée exacte, ce n’est pas de venir jouer un répertoire réunionnais pour un public réunionnais, parce que ça, à peu près tous les groupes qui existent déjà sur place sont beaucoup plus compétents que nous pour le faire. L’idée, c’est de raconter une histoire en musique, celle des choses que La Réunion a en partage avec l’Afrique. Et pour raconter cette histoire, nous faisons des allers-retours entre l’île, le continent et Madagascar. Nous réinterprétons des titres africains en y amenant des éléments réunionnais, et nous africanisons des chansons réunionnaises.

Quelles sont les grandes correspondances musicales entre La Réunion et l’Afrique, selon vous ?
Il y a une première chose évidente, et qu’on ne retrouve pas qu’à La Réunion d’ailleurs, ce sont les percussions. Avec la dissémination des esclaves africains et malgaches au cours des différentes traites, les tambours sont toujours restés le moyen pour les esclaves déportés de conserver un lien avec leur culture, et leurs traditions religieuses. C’est en grande partie parce que les percussions étaient les instruments les plus faciles à reconstituer, mais aussi parce que les rituels africains passent par le rythme et par la transe. Une partie du bal aborde ce phénomène, en passant par l’Afrique et La Réunion, mais aussi l’Amérique Latine.

Les percussions, c’est vrai qu’on s’y attend un peu. Y a-t-il des choses plus inattendues, qui ne sautent pas aux yeux au premier abord ?
Bien sûr, il y a des rapprochements, plein ! Prends par exemple la chanson Sodade, que chantait Césaria Évora – bien que ce ne soit pas elle qui l’a écrite. Eh bien, cette chanson capverdienne, nous nous en servons pour évoquer un phénomène comparable à celui de l’engagisme à La Réunion. Parce que dans un archipel comme Sao Tome comme à Bourbon, après l’abolition, il a fallu trouver une main-d’œuvre bon marché pour prendre la place des esclaves sur les exploitations des Blancs. À l’époque, la culture du cacao était en plein boum à Sao Tome. Et comme on a fait venir des engagés dans les champs de canne à La Réunion, on faisait venir ce qu’on a appelé les contratados dans l’archipel. Ce n’étaient pas des Indiens comme à La Réunion, mais des Africains qu’on déportait de différents endroits de l’empire portugais, et notamment du Cap-Vert. Et ce jusque dans les années 70. Il existait même une loi contre le vagabondage : si un vagabond était arrêté dans l’empire et qu’il était sans emploi, il pouvait être condamné à deux ans de travaux forcés à Sao Tome. Si tu écoutes les paroles de Sodade, ça dit : « Qui t’a montré le chemin de Sao Tome ? Si tu m’écris, je t’écrirai, si tu m’oublies, je t’oublierai. » Et ce qui semble être une chanson de rupture amoureuse est en fait une chanson sur l’histoire des contratados, qui fait écho à celle de l’engagisme. Et pour le Bal, sur scène, c’est Danyèl Waro qui chantera cette chanson, qu’on va complètement réarranger pour l’occasion.

À première vue, cette exploration implique peut-être un répertoire moins dansant qu’à l’accoutumée ?
Oui et non. C’est vrai que pour raconter ces histoires, il va y avoir des moments d’écoute disons peut-être plus recueillis, et c’est une bonne chose aussi, d’avoir ces respirations-là, quand on parle de sujets profonds et sérieux. Mais si les gens s’attendent à pouvoir rester assis tranquillement pendant les 2h30 que va durer le spectacle, ils te trompent.Déjà, nous avons pris soin d’inclure dans le répertoire des retours réguliers vers l’Afrique pour faire parler la poudre, si on peut dire. Et puis on va essayer de rigoler, aussi, parce qu’on aimerait aborder de manière drôle les questions liées à l’identité, aux complexes issus de la colonisation, qui existent encore à La Réunion mais aussi dans toute l’Afrique. Ces choses qui sont encore là, mais dont on aimerait tous bien qu’elles soient définitivement réglées. Dans le genre, Nathalie Natiembé va reprendre une chanson de Francis Bebey, Si les gaulois avaient su, où il parle de « nos ancêtres les gaulois » avec son accent africain, et se moque de façon détournée de ces questions d’appartenance issues de la colonisation. Il parle du village d’Asterix, et il explique en gros que si les Gaulois avaient été plus malins, ils se seraient allés se planquer en Afrique au lieu de subir la colonisation romaine.

Vous avez également tenu à ce qu’un musicien malgache soit de l’aventure. Pourquoi ?
À bien des égards, Madagascar est le trait-d’union entre L’Afrique et La Réunion, et donc nous voulions vraiment avoir un musicien qui vient de la Grande Île. Et je suis très heureux, parce que c’est Rajery qui sera là ; c’est un pote depuis l’époque où j’étais à Mada, il y a 20 ans. Donc je pense que tous les éléments seront là pour qu’on prenne du plaisir et pour que les gens voyagent et s’amusent avec nous. C’est vraiment un projet qui nous enchante, et même si tout reste encore à faire, on rêve déjà d’un avenir pour ce spectacle.

Entretien : François Gaertner