Portrait

Nathalie Natiembé

Débit d’émotion

C’est devant une petite case en tôle, dans un chemin du Cap Marianne à Saint-Paul, que l’on a retrouvé Nathalie Natiembé en plein tournage du clip de Bonbon zétwal, titre phare de son nouvel album dans les bacs ce mois-ci. Toute en générosité et en digressions, la punkette du maloya évoque la scène, ses démons, ses souvenirs, ses hommes, sa musique. Un débit d’émotion aux allures de montagnes russes. Âmes insensibles s’abstenir.

« Ça fait presque deux mois qu’on est rentrés et je commence à trouver ça long. J’ai hâte de retrouver la scène ». L’éclat de rire de Nathalie Natiembé fend le ciel bleu silencieux du Cap Marianne, à Saint-Paul. Le temps d’une retouche maquillage devant la petite case en tôle, la chanteuse bavarde, passe du coq à l’âme, évoque son Robert, son « boug en or », sa « jalousie de jeune fille », raconte comment elle a trouvé ce petit chemin charmant puis demandé au gramoun à la cour proprette l’autorisation de venir tourner ici le clip de Bonbon zétwal.

Pas encore dans les bacs, elle en a déjà sillonné des routes cette chanson « Madeleine de Proust », depuis le dernier Sakifo. L’évocation du festival met des paillettes dans les yeux de Natie. « Même si on était rôdés par le Mozambique et le Swaziland, là c’était vraiment LE concert qui nous a armés. Faire la première partie de Manu Chao ! C’était tellement fort… peut-être aussi parce que je ne cache plus ma vie, je deviens généreuse. Voilà ce que je chante : c’est moi avec mes démons. Avant j’avais une certaine pudeur parce que papa et maman étaient là. Mes enfants, eux, savent dans quelle dimension je vis. Et ça ne m’empêche pas de travailler dans les écoles et de donner une bonne éducation à mes enfants, hein ! ». Talie l’attachante. Lever un peu le voile, livrer un peu d’intime, et fermer le rideau dans un éclat de rire pour éviter le sanglot.

« Quand des fois la vie coule en l’eau noire »… Nathalie Natiembé chante le deuil de ses parents dans ce Bonbon zétwal sucré, poétique, émouvant, sensuel. Et dans ce cadre typique de Saint-Paul, entre les badamiers, les vols de paille en queue et les légères effluves d’épices, il prend un goût particulier ce bonbon zétwal, gâteau traditionnel que sa mère lui donnait enfant. Les sanglots ne sont pas loin. Ils jailliront quand Nathalie ira demander au gramoun l’autorisation de pousser son portail pour chanter un peu dans sa cour. « Il me fait tellement penser à papa ; même si papa était plus grand », lâche-t-elle.

Et c’est dans un éclat de rire qu’elle revient quelques minutes plus tard, prête à chanter à nouveau, prête aussi à évoquer les autres hommes de sa vie, ses hommes de scène : Yann Costa au clavier, Cyril "Fever" Faivre à la batterie, Boris Kulenovic à la basse et l’ingé son Arnaud Le Gall. Avec eux, elle vient de jouer à Paris, au Portugal et au Paléo festival, en Suisse. « Avec eux, c’est trop bien ! On a une bonne fusion, une très belle relation amoureuse, filiale. Je suis un peu leur maman dans cette histoire. Comment qualifier notre relation ? Musico-amoureuse ? On n’a pas besoin de se parler. Il suffit d’un regard, d’un sourire et on sait où on va. On peut avoir des conversations jusqu’à 1h du matin et quand on ne se voit pas pendant un mois, on se manque ». Le voile d’émotion apparaît à nouveau et la gorge se noue. Presque deux mois qu’ils ne se sont pas vus et Nathalie attend impatiemment les retrouvailles, début octobre, pour leur résidence au Kabardock avant le concert de lancement de l’album.

Un disque qui sent l’aboutissement, l’énergie passée au tamis de l’intime, les flirts assumés avec le punk rock, la pop, le reggae. Si l’électro-world planante qui enveloppe l’album lui va comme un gant, elle dit toujours qu’elle fait du maloya, Nathalie Natiembé. « Les autres disent que non, mais mon maloya il est dans mes textes, dans ma langue. Je raconte mes histoires de vie de femme et c’est ça ma revendication, ma liberté. Et puis j’ai le droit de dire ça ! Qui va m’en empêcher ? ». Natie la rebelle, affichant son excentricité dans ses textes, ses virées à la buvette où elle aime boire un coca ou une bière, ses longues marches nocturnes dans les rues de La Possession quand une chanson lui trotte dans la tête, ou dans ses incroyables robes cousues main. Au Portugal, son étonnante tenue ornée de paille de fer n’était pas d’elle, pour une fois, mais de Karelle Dany. « On l’a imaginée ensemble et elle m’en a cousue une autre avec des boîtes de sardines Robert », raconte-t-elle. Elle la portera peut-être pour la grande date à venir : la première partie de Brigitte Fontaine, en novembre à Bordeaux. « Toutes les dates sont importantes, ici ou ailleurs, dans un bar où sur une grande scène, on donne. Mais cette date là, c’est vraiment la grosse date que j’attends. Brigitte Fontaine, c’est un rêve pour moi ! ». La reine des kékés et la punkette du maloya… on imagine très bien l’intensité de la rencontre et on vote pour un match retour rapidement chez nous.

Texte : Isabelle Kichenin
Photos : Sandrine Hubert Delisle

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