Local

Le Pain des Fous

Nous les avions croisés il y a quelques mois au bar Le Toit, où ils faisaient l’une de leurs premières sorties en public. Là pour fêter comme il se devait l’anniversaire du bar saint-pierrois, ils avaient scotché l’assistance. A l’époque, c’est par son énergie et sa maîtrise des compositions que Le Pain des Fous nous avait impressionné. L’occasion était trop belle d’aller voir les répétitions à l’Ilot, afin de comprendre comment toutes ces bonnes ondes musicales voient le jour...

    Il fait nuit et une bruine a décidé de ne pas quitter le sud de l’île depuis la fin d’après-midi. Les rues de Saint-Louis sont désertes, les gouttes cliquettent sur les toits de tôle, le ciel est bas et sans étoile. Dans la rue Sarda Garriga, il n’y a guère qu’au 67 qu’il y a encore de la lumière. Si l’on s’approche des volets à demi-fermés, une forte odeur de bière et de clopes, doublée de belles effluves musicales vient cogner contre les murs en bois du bar : Le Pain des Fous répète depuis quelques heures. Ça se voit aux t-shirts humides, aux visages fatigués et aux cuivres brillants.

  
Beaucoup de têtes connues pour qui aime fréquenter les musiciens d’ici : presque tous ceux du Pain des Fous sont en effet issus des défuntes Brèves de comptoir et tournent aujourd’hui dans plusieurs formations.

  
Commençons par Rom’s, à la guitare et au chant : l’ancien du Trio tordu écrit l’essentiel des paroles et des musiques du groupe. Autodidacte, se baladant joyeusement dans un melting pot musical où l’on croise Led Zep et The Doors, appréciant autant l’Album blanc des Beatles qu’In Utero de Nirvana, il met toutes ses énergiques compositions et sa solide culture musicale au service du Pain des Fous. 
Vocalement, ses textes trouvent une parfaite complémentarité dans le travail de Rico (chant & percussions), qui a un phrasé très rap, groove à la NTM, voix éraillée façon Mano parti au ciel.  


Et puis, pour relever l’ensemble, l’inénarrable Captain’, qu’on ne présente plus, qui étreint sa basse avec fermeté et douceur, si bien qu’on parierait que son instrument à quatre cordes a été, dans une vie antérieure, une jolie femme. Ayant trainé sa barbichette avec Giloo ou les Jeunes Mariés, et ayant participé à des formations musicales qui sont autant de références pour Rom’s, Captain’ porte un regard bienveillant sur l’ensemble, solidement calé sur sa chaise et son expérience. Deux voix, une guitare, une basse, ça pourrait presque suffire pour donner des frissons. Seulement voilà, dans le Pain des Fous on est huit, et chacun a décidé de mettre sa main à la pâte.  


Comme pour nommer le groupe, par exemple. Lorsqu’on leur demande d’où vient ce nom, c’est le brouhaha, les blagues, deux ou trois grossièretés, une revue par le menu des bourdes journalistiques (les Pains en folie, Les Boulangers fous, etc.) et puis cette version, la seule qui vaille : le Pain des Fous est une allusion à une intoxication alimentaire ayant eu lieu à Pont-Saint-Esprit, petite ville de Provence, dans la nuit du 24 au 25 août 1951. C’est dit dans la rigolade, au point qu’on pourrait ne pas croire ces joyeux lurons. Il n’y a pourtant rien de plus vrai. Baptisée par la presse de l’époque, « nuit de l’apocalypse », dans le sud de la France, elle reste ancrée dans toutes les mémoires puisque plus de 250 personnes ont été victimes de visions terribles. Une hallucination collective, un bad trip à l’échelle villageoise, qui fera tout de même sept morts. Et tout cela à cause du pain, l’aliment de base, sans doute contaminé par des stocks de farine de mauvaise qualité, contenant peut-être de l’ergot de seigle, lequel est un composant de base du LSD. Traités de fous à l’époque, il fallut de nombreuses semaines avant que l’incident soit enfin perçu comme un problème sanitaire.  

 

Dieu merci, le Pain des Fous (LPDF) actuel n’est pas dangereux pour la santé et est même conseillé aux oreilles fatiguées d’entendre de la soupe funk ou du rock mièvre. Car ceux qui aiment la funk seront particulièrement sensibles au jeu de Charlou (proche de Jabul Gorba qui se produira en avril sur l’île) qui, arrivé à La Réunion il y a cinq ans, donne, avec son sax baryton, la touche ska-punk à LPDF. 

La section de cuivres est également composée de Glenn (trombone) qui affiche haut l’éclectisme musical du groupe et qui se verrait bien faire une petite tournée dans les îles voisines avec cette formation qui en a indéniablement la carrure.

 


Loïc (clarinette), quant à lui, co-fondateur de l’Ilot et sax-alto du groupe, estime que LPDF a trouvé là sa configuration idéale et trépigne donc, après ces répétitions, qui ont lieu là-même où trônaient il n’y pas si longtemps des billards, de sortir une maquette pour démarcher les salles, lesquelles devraient être sensibles aux bonnes vibrations du groupe.  


Ces vibrations auxquelles participe largement Youric, nouveau bassiste de Babtia mais batteur ici qui, après dix-sept années passées sur l’île a forcément joué avec beaucoup de monde (dont Thierry Abmon) et a été, cette fois-ci, débauché par Captain’.  


En somme, une bonne claque musicale, dont on aurait tort de se priver en ce début d’année. OVNI musical qui ne fait aucune reprise, qui aime aller vers « du hip-hop old-school-addictif, en passant par une valse névrotique, du reggae obsessionnel, du punk mono maniaque jusqu’au rock psychotique », Le Pain des Fous bénéficie d’oreilles expertes en la personne de Sergent, qui porte la casquette et manie les manettes de la console son.  


Une raison de plus pour vous intéresser à ce Pain très spécial. Vous l’avez compris, on ne saurait que vous conseiller d’aller écouter ces joyeux drilles, qui chavirent avec allégresse entre rock, reggae, et chansons, où punk, cuivres et fanfares se rencontrent amoureusement. Nous n’allons pas vous cacher que nous trouvons le résultats délicieux et viril, et que si ces huit-là sont un peu fous, c’est surtout de musique, laquelle ils partagent avec bonheur, comme le bon pain...

www.myspace.com/lpdf

Nicolas Millet - mars 2010  

Galerie Médias