Chronique

Manzi c’est quoi un circassien ?

Dans le petit monde merveilleux du spectacle vivant intoxiqué d’un jargon pompeux, ce mot moche désigne la grande famille des artistes de cirque. Une famille qui fout un peu les boules.

À l’origine, il identifie les habitants de la Circassie, région historique située au nord du Caucase sur la côte de la Mer Noire peuplée de populations nomades. Le nomadisme est peut-être le point commun avec nos saltimbanques qui revendiquent ce mode de vie alors qu’en réalité, ils sont devenus une bande de squatteurs de résidence de scènes conventionnées et qu’ils ne se déplacent que très rarement, sauf dans le cadre de tournées provinciales pour lesquelles ils auront négocié des suites prestigieuses dans les Formule 1.

Ne commettez pas l’impair de les confondre avec ces autres enfants de la balle dont se réclament ces hordes de tougoudouks sédentarisés sur les plages saint-leusiennes qui perturbent l’ordre public et sont responsables de cette expression populaire : « Quel cirque ! ». Je vous rappelle que ces ersatz de circassiens, proposant inlassablement des crash-tests de leurs cabrioles ou autres prouesses de jongleries à deux balles, doivent être catalogués sous l’appellation : punkassiens. Ce néologisme m’a valu le calembour d’or au Festival Yaourts en Scène, l’année dernière. Mon trophée, un bâton du diable peint à la bombe dorée, trônait au-dessus de mon barbecue juste à côté de mon bon d’achat de 50 euros valable à la boutique Etnikaka.com, jusqu’à la semaine dernière où j’utilisai ces récompenses comme combustibles à merguez. Assez régulièrement, je fais ce cauchemar terrifiant où j’admire un splendide coucher de soleil sous les filaos quand soudain, je me retrouve entouré par des dizaines de rubalises sur lesquelles des slackeurs s’agitent tels des piafs dégénérés et tentent d’évoluer au gré des percussions arythmiques de leurs congénères frappeurs de djembés.

Saviez-vous qu’à partir de 1979, le cirque n’est plus rattaché au ministère de l’Agriculture mais passe au ministère de la Culture ? Cette filiation au terroir imposée par l’État est sûrement la cause empêchant le circassien et, plus regrettable la circassienne, de couper cette production bio de l’épiderme qu’est le poil. Impossible de louper leurs aisselles en friche vu qu’ils passent leur temps à rouler des mécaniques dans les festivals, à torse poil et la tête en bas, ce qui désole l’acteur de théâtre qui n’a que ses pompes en faux cuir de crocodile et sa mine blafarde à arborer.

Hair Kolonel vs Les Arts Osés

Osons parler de la rivalité affreuse qui sévit entre coiffeurs et circassiens pour la suprématie du jeu de mot à chier dans l’intitulé de leur commerce. L’une des preuves de cette hostilité est que les circassiens font manifestement souvent le choix de se coiffer eux-mêmes, sans doute pour éviter des représailles. On n’a, par ailleurs, jamais vu un coiffeur sur une bascule sinon comment voulez-vous qu’il gesticule.

Il serait tentant de les rapprocher au niveau des fringues mais, contrairement à ce que laisse penser sa tenue vestimentaire, le circassien est sensible aux effets de mode. Ainsi refusera-t-il de présenter son dernier spectacle comme un numéro : il parlera de création, comme n’importe quel artiste, puisque le Nouveau Cirque dont il se réclame est avant tout un art de la poésie. C’est en tout cas ce qu’il explique dans ses dossiers de subvention, pour faire passer l’idée que jongler avec des quilles et jouer à saute-mouton sont des passe-temps qui valent bien d’être financés et expliqués dans les écoles.

Vous avez tous côtoyé un circassien dans vos études : rappelez-vous de ce lycéen triquard dans toutes matières mais doué en sport, qui a par la suite lamentablement échoué sa licence de STAPS en découvrant le bon zamal, le mauvais reggae et les festivals de théâtre de rue. Converti au Tryolisme lors de ses courtes années universitaires, il est désormais investi d’une mission : semer la bonne parole écolo-niaise. La piste du Conservatoire a vite été abandonnée car il est incapable d’apprendre un texte par cœur. La piste aux étoiles devient la voie de garage adéquate pour déverser sa poudre de perlimpinpin onirique surtout que notre bête de foire s’est familiarisé avec plein de techniques artistiques, qu’il ne maîtrise pas complètement sauf peut-être celle du démontage de chapiteau à 3 grammes. Grâce au Pôle National du Narcissirque, il a même appris à jouer quelques notes d’un instrument de musique, souvent de l’accordéon ou du ukulélé, qu’il imposera à toutes ses créations pour coller à cet univers forain passéiste mais résolument vendeur dans les centres dramatiques en quête de propositions « populaires ».

Amis programmateurs, méfiez-vous également de ces circassiens dotés d’une pseudo oreille musicale qui veulent vous refourguer une fanfare déambulatoire dans laquelle ils auront intégré leurs potes ziquos de beuverie. Oui, le cachet n’est pas bien élevé, ça occupe l’espace public et la municipalité est ravie mais il va falloir tripler le nombre de fûts. Du reste, j’ai souvent entendu cette phrase de la bouche de DJs, euh pardon de producteurs électro : « Un musicien de fanfare c’est un musicien raté ». Faisons confiance à ces esthètes, qui ont le mérite de n’avoir jamais essayé d’être eux-mêmes musiciens.

Se démarquant du cirque traditionnel, le néo circassien se refuse de jongler avec des massues classiques ou faire des porters acrobatiques conventionnels car il a besoin d’un objet conceptuel, porteur d’un message universel. Le schéma narratif de ces créations pantomimiques est immuable et se divise en trois temps :

1. D’abord, le circassien découvre un objet/relais qui est censé nous faire réfléchir sur la relation homme/nature. Cette phase peut durer la moitié du spectacle puisqu’il s’agit de planter le décor en sublimant cette branche de bois flotté subtilement éclairée par des guirlandes à LED solaires fabriqués par des petits chinois hors-temps scolaire.

2. Ensuite, les deux « entités » s’affrontent, se repoussent dans des chorégraphies brutes et sensibles car tout semble les opposer. En même temps, essayez de causer avec une souche, vous verrez c’est aussi frustrant qu’un rencard avec une ancienne miss.

3. Enfin, le circassien - unique représentant d’une humanité pas complètement pervertie par ce capitalisme triomphant - va fusionner avec le bibelot de Mère Nature en proposant un tableau final aussi émouvant qu’original. Ou comment tournoyer pendant cinquante minutes autour d’un bambou multicolore en jonglant avec des bringelles peut s’avérer être un geste artistique radical, porteur d’un regard séditieux sur les dangers de l’intercommunalité dans des territoires dévastés par l’enchaînement de fêtes aux cucurbitacées.

ManZingaro