
Nathalie Natiembé
L’une des plus jolies voix de l’île, doublée d’une présence scénique à couper le souffle. Son dernier album en date est sobrement intitulé Karma (2010). Un opus qui ne ressemble à aucun autre et pour lequel "Natie" s’est entourée de Bumcello, un groupe de trip hop imprégné de sonorités dub. Les fans de M connaissent bien les membres de Bumcello : Cyril Atef et Vincent Ségal ont longtemps constitué le poumon rythmique de Matthieu Chédid sur scène.
La musique est arrivée à Nathalie Natiembé par un heureux hasard puis grâce à une farouche volonté. Par hasard, parce qu’elle est née dans une famille de musiciens, père moringuèr, frères musiciens, grand-mère organisatrice de kabars. A quatre ans, elle danse déjà dans les services kabaré. Le maloya, elle a donc ça dans le sang. Puis, hasard, encore, elle a, sur les coups de quinze ans, découvert Pink Floyd, Led Zeppelin et Franck Zappa.
Si elle avait, comme beaucoup de filles de son âge, écouté Sylvie Vartan et Sheila, Nathalie Natiembé n’aurait sans doute pas été la même. Heureusement pour elle, il y a eu le rock’n roll. Au même moment, l’écoute d’Alain Peters, qu’elle vénère, de Danyèl Waro aussi, l’a définitivement incitée à se tourner vers la musique. Seulement voilà, entre principe de plaisir et principe de réalité, il y a souvent un fossé et Nathalie, en bonne mère, et d’une famille nombreuse, est devenue secrétaire comptable. On est loin du rock’r roll et du maloya sous la lune. Et puis un jour, à l’aube de la quarantaine, c’en est trop : les enfants ont grandi, les murs du bureau de compta sont trop épais et trop tristes : Nathalie Natiembé plaque tout pour plaquer, justement, ses mots sur les sons si purs de son triangle, instrument symbole. Nous sommes en 1997. C’est une seconde naissance : à la façon d’un serpent, elle mue pour se retrouver enfin dans la peau de celle qu’elle a toujours voulu être : une chanteuse à textes. Ses mots et son charisme naturel font le reste.
Elle participe alors aux premiers kabar-poèmes, ces moments de poésie qu’on appellerait aujourd’hui slam, ce qui a le don de la faire sourire. Elle aime ça, plaquer des mots sur des rythmes, se sentir tout entière dans le maloya qui, par ses sonorités du fond des âges est la musique première, « celle qui enfante toutes les autres ».
Elle qui a écouté tant de rock et de jazz propose alors un blues local avec une âme habitée que n’aurait pas renié une Janis Joplin. Ses habits de couleurs rappellent d’ailleurs l’Afrique et les seventies. En 2001, c’est enfin la reconnaissance, avec la sortie de son premier album au nom de légume, "Margoz", chez Discorama. La tournée qui s’ensuit l’emmène au Mozambique, où elle retrouve ses racines. Sur l’album, elle en parle justement, de ses racines, avec une voix rauque et dansante sur le roulèr : en peu de temps, elle est estampillée « Découvertes » au Printemps de Bourges.
Puis vient "Sanker", enregistré avec ce que l’océan indien compte de mieux en matière de musique : Lélou Menwar apporte la touche mauricienne, Régis Gizavo offre à Nathalie les sons malgaches de son accordéon, Sami Pageaux, fils de Waro, et Jean Amémoutou, petit-fils de Maxime Laope, assurent quant à eux les percussions. En chef d’orchestre, Yann Costa, échappé un temps de Zong, arrange l’ensemble, qui sort en 2005 chez Marabi. L’accueil en métropole est bon, et 3000 galettes se vendent. La carrière de Nathalie Natiembé est lancée. En 2006, c’est la rencontre avec Cyril Atef, le "bum" de Bumcello, à l’occasion du Sakifo. On racontera plus tard, à Nathalie, que lors de l’inauguration du festival, derrière elle, Atef avait pris le roulèr. Elle ne s’en était pas rendue compte, c’est dire si le batteur métropolitain avait su faire siennes les rythmiques maloyennes. Les deux musiciens se testent, se parlent, et finissent par s’adopter. Vincent Ségal, le "cello" de Bumcello, les rejoint.
En 2008, les trois musiciens se retrouvent donc, chacun avec ses bagages musicaux : le rock et le maloya pour Nathalie, la musique world pour les deux autres, qui ont maintenant écouté et adopté quantité de morceaux peï. Aucune répétition pour préparer l’album "Karma", qui est pensé comme une confrontation, d’où le « versus » figurant sur la pochette. Il faut de la tension, beaucoup de tension, afin, le jour J, de tout lâcher.
Vincent Ségal amène un Fender Bassman de 1966 : ce sera la touche rock. Les trois comparses entrent en studio pendant quatre jours. Ils jouent sans cesse, de longues improvisations, jusqu’à en tirer cinq heures de musique. Yann Costa est de nouveau de l’aventure. Il est chargé d’extraire des bandes la substantifique moelle musicale : exercice complexe, qu’il mène avec brio, lorsqu’on lui apprend que Ségal a trouvé ça « vraiment très bien ». Nathalie raconte qu’à ce moment, un frisson lui a parcouru l’échine.
L’album est teinté de rock, de maloya et de subtiles montées électroniques. Le texte en créole est bien-sûr toujours au coeur de ce maloya métissé. Tour à tour scandée et chantée, la poésie de Natiembé est un formidable vecteur d’émotions...
www.myspace.com/nathalienatiembe
Texte : Nicolas Millet
Photo : Fanny Vidal