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Notre Dame du Grand Marché

Zerbinette est partie à la rencontre de la future ex-directrice du Centre Dramatique de l’Océan Indien pour évoquer la genèse de sa dernière pièce.

Incomprise ou vénérée, Lolita Monga fait rarement dans la demi-mesure. Fière et forte tête, elle a régné sur le théâtre du Grand Marché avec une insolente tranquillité, sourde aux détracteurs et fidèle à son dada : la création. Prête à quitter les lieux mais certainement pas à arrêter la mise en scène, elle tire sa révérence comme on part en guerre. « Ce projet part d’une révolte personnelle » annonce-t-elle au sujet de sa dernière pièce Notre Dame d’Haiti, qui fermera la saison théâtrale du CDOI. J’entre donc dans sa tranchée.

Salopette en jean et gouaille à la Arletty, Monga enchaîne les cigarettes avec l’insouciance de celles dont la vie est ailleurs. Regard vif et affûté,elle m’explique comment elle a quitté Shakespeare, dont elle avait proposé une truculente adaptation en créole dans Romeo et Juliet pour un projet d’une toute autre envergure.

« Nous avons voulu explorer les territoires de lutte politique » commence-t-elle, désignant son partenaire de poudrière Olivier Corista, acteur et co-directeur du projet. Deux terres s’imposent alors, parce qu’elles symbolisent chacune la lutte d’un groupe humain pour son indépendance. Sur le podium des combattants, Haïti et Notre-Dame-des-Landes prennent ex æquo la première place.

À priori, chercher à établir un lien entre ces deux fiefs me semble un peu tiré par les cheveux. Mon premier est une république indépendante logée dans la mer des Caraïbes.Mon second est une commune française située dans le département de Loire Atlantique. Mon tout s’annonce comme une création bicéphale suspecte. Outre les différences culturelles et géographiques, je ne comprends pas quelle lecture commune les artistes pourraient faire de terres si dissemblables.

Corista m’éclaire : « Nous sommes partis un mois en résidence vivre à Haïti puis le mois suivant à Notre Dame. On s’est vite rendu compte des points communs entre les deux territoires. D’abord, il y a une mystique de la lutte, du dépassement de soi. À Notre Dame, ils s’inventent des rituels pareils à ceux d’Haïti, comme le fait d’utiliser les bâtons de lutte pour théâtraliser leurs discours. »

Si le lien est donc apparu à travers les pratiques artistiques, il est surtout prégnant dans l’histoire de ces deux microcosmes. « Ce sont des gens qui vivent sur leur histoire et ils en sont fiers. Et c’est surtout le premier pays à avoir fait sa révolution en 1804 et à avoir gagné sa liberté. » souligne Lolita Monga, au sujet d’Haiti.

Pour Notre-Dame-des-Landes, les habitants indiquent qu’ils vivent sur une zone de lutte : La ZAD. Leur territoire, destiné à devenir l’aéroport du Grand Ouest dans les années 70, est passé du statut de « Zone d’Aménagement Différé » à « Zone À Défendre ». La résistance est palpable.

Il me semble alors saisir le projet. Partis sur deux terres de révolte pour un collectage de témoignages et un partage artistique, l’équipe de Monga s’attaquera ensuite à l’écriture d’une étude comparative entre Haïti et Notre Dame, sous forme de pièce de théâtre. Compte tenu de l’engouement des deux artistes pour ces lieux réfractaires au système, je pressens qu’il y aura dans Notre Dame d’Haiti, un souffle révolutionnaire appelant le spectateur à l’insurrection.

Erreur.

« Nous ne faisons pas de prosélytisme » me prévient Corista, qui précise, malgré l’inoubliable expérience partagée avec les zadistes et les Haïtiens, que la pièce ne possède aucun enracinement spatio-temporel précis, ce qui n’est pas sans compliquer sa réception.

En effet, lorsque j’assiste à la répétition, un décalage s’opère entre d’une part, le dialogue foisonnant d’anecdotes livrées par le duo d’artistes pendant notre entretien, et d’autre part sa retranscription scénique.

Côté plateau, 4 acteurs échangent à bâtons rompus sur le thème de la révolte. Si je comprends d’où vient la matière de leurs propos, il m’est difficile en revanche de trouver un point d’ancrage qui me permettrait de les identifier, ou au moins de situer l’intrigue.

Monga s’en explique par les conditions particulières auxquelles l’écriture du spectacle a été soumise : « C’est une écriture à chaud, en fonction des chocs émotionnels, des instantanés, c’est une pièce déstructurée. »

Reste à savoir si, en s’affranchissant de la règle classique des trois unités (temps/lieu/ action), la pièce offrira tout de même au spectateur un fil conducteur nécessaire à la construction d’un sens, donc d’une émotion.

Car proposer une création sur le thème de la révolte populaire dans une ancienne colonie n’est évidement pas anodin. Quand je l’interroge sur les réactions qu’elle souhaite susciter à La Réunion par le biais de cette pièce, la dame ne mâche pas ses mots pour déplorer la léthargie ambiante : « À La Réunion, on est très révoltés avec la bouche.Mais au delà du discours comment passer à l’acte ? Ce spectacle rend compte de la façon dont on a été bousculés par ces gens qu’on a rencontrés. Je suis sortie de là avec la certitude que c’est pas suffisant. Eux ils sont dedans. Ils changent les choses. J’ai envie de dire aux jeunes d’ici : bougez-vous ! »

Le message sera-t-il reçu ? Réponse au début de ce mois de décembre.

Zerbinette