Cinéma

Même Pas Peur : le cinéma de genre débarque à Saint-Philippe

Quelle horreur !

Horrible, fantastique, étrange, fait main, déroutant : le cinéma de genre envahit pour 4 jours la ville de St-Philippe à l’occasion du festival Même pas peur. Radioscopie d’un art en pleine forme, et sélection des films à ne pas manquer.

Mauvais goût, mauvais esprit, mauvais genre - tout ce qui, à dire ou à montrer, est impropre à satisfaire aux exigences mornes de la bienséance, est le plus souvent qualifié de mauvais. C’est en général le sort réservé aux cultures populaires commerciales, auxquelles appartient l’art merveilleux du cinéma de genre - fantastique, érotique, péplum, blaxploitation, etc. Les arbitres du bon goût considèrent depuis toujours ces segments avec un mélange de mépris et de crainte, ce en quoi ils ont à la fois tort, et raison.

Ils ont tort de dédaigner, au prétexte qu’il est souvent à la fois mercantile et dénué de prétentions, ce champ cinématographique immense où cohabitent Roméro, Carpenter, Argento, Lucas ou même quelques chouchous de la critique, comme Tarantino et le Kronenberg des bons jours ; ils ont, en revanche, bien raison de le craindre. Parce qu’en offrant un refuge à ceux que les esthétiques dominantes ennuient ou étouffent, par réaction ou simplement par affinités, le cinéma de genre est devenu le terrain d’expérimentation privilégié des résistances, des queers, des freaks, de ces énergies négatives et contreproductives qui grouillent et grandissent dans la marge, tant et si bien qu’elles finissent par déborder et commencent, tôt ou tard, d’infecter tout le reste.

Mort, sexe, monstres bizarres, cupidité, morales troubles, laideur volontaire, humour féroce, critique sociale radicale : bien qu’on l’aie souvent trouvé idiot, le cinéma de genre a toujours porté les thèmes profonds et salutaires que l’art bourgeois boudait ou contemplait avec une distance trop hautaine. Il a permis d’approcher le réel avec un regard différent, à la fois plus cru et paradoxalement enchanté, dépouillé de finasserie mais profondément romantique.

Cette différence fondamentale mais impossible à circonscrire dans une définition claire fait toute la richesse d’un cinéma qui continue d’échapper aux tentative de limitation, et qui prolifère sans cesse et à grande vitesse dans d’innombrables branches, sous-branches et contrecourants : cyberpunk, puis steampunk, biopunk, riofunk, ou slasher, splatter, gorno, giallo… On n’en finit jamais. Chaque pas fait dans ces univers inquiétants ou merveilleux est un pas fait dans l’inconnu, et c’est précisément ce qui les rend passionnants, et précieux.

Alors allez nombreux à Même pas peur, à la rencontre de la terrible Aurélia Mengin et de sa ménagerie impossible de femmes fatales, de catcheuses, d’enfants blêmes, de figurines en plastique et de fantômes vengeurs. Allez-y et constatez par vous-mêmes la grande santé du cinéma de genre.

François Gaertner


Petite sélection non exhaustive des films à ne pas manquer

LES COURTS

Things you’d better not mix up - animation, 2’10, Pays-Bas

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En à peine deux minutes, ce bijou trash d’humour absurde rythmé par une petite musique naïve parvient à passer une grabataire dans un incinérateur à déchets, à décapiter un homme à la mer, et même à enfiler un chiot vivant comme une veste sans vous faire perdre le sourire !


Little plastic figure - animation, 3’13, Allemagne

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Un joli clip pour une jolie chanson de Susie Ado, réalisé en stop motion, c’est-à-dire en donnant l’impression qu’un objet inanimé bouge en le déplaçant très légèrement à chaque image. Il s’agit, ici, d’une petite figurine en plastique qui sauve de la catastrophe une chanteuse somnambule. C’est bourré de poésie, et techniquement superbe.


Edwige - 15’36, France

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Porté par Claude Perron, cette actrice française de génie aux grands yeux étranges qui était la muse prolo déglinguée de Bernie dans le film de Dupontel, Edwige met en scène une femme de chambre radicalement seule dans les décors magnifiques et désolés des grèves infinies de Normandie. Elle rencontre un jour dans son hôtel un homme qui la fascine. Seul problème : il est marié… Avec une élégance formelle remarquable et une maîtrise du faux-rythme, Mounia Meddour dirige Claude Perron dans un grand rôle : pendant 15 minutes, elle éclate l’écran.


J’adore ça ! - 12’58, FRANCE

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Saut depuis la troisième corde dans l’univers du catch féminin, J’adore ça ! nous invite dans la tête secouée de l’invincible Blondie Colorado, femme amoureuse / distributrice de coups de la corde à linge, lors d’une finale d’anthologie de championnat d’Europe. Foule en délire, gouaille assassine façon grosses dures, et magnifiques ralentis sur les tignasses qui giclent à chaque atémi, comme une étude esthétique du choc sur le corps féminin. C’est gai, c’est girly, et c’est joli.


LES LONGS

MORSE - Thomas Alfredson, Suède

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Il y a 5 ans, alors que les films de vampires semblaient finalement rentrer dans une phase terminale de putréfaction avec la sortie de l’abominable Twilight, ce fantasme guimauve pour pucelle en surpoids, un réalisateur suédois inconnu lance une bombe dans le cercueil : Morse est un film doux, dur, poétique, froid et intelligent sur l’enfance, sur la perversité - bref, un grand film de fantastique psychologique.

L’histoire tourne autour d’Oskar, ado souffre-douleur et chef-bizut d’une classe d’imbéciles qu’il rêve en secret de trucider par vengeance. Livré à lui-même dans une banlieue de Stockholm, il traine dans la cour de son immeuble la nuit, où il rencontre Eli, une gamine étrange et solitaire qui va s’avérer être un vampire. Se noue alors entre les deux marginaux une romance naïve et étrangement désespérée, pleine de sombre poésie et dénuée de sentimentalisme factice. Très beau et sobre visuellement, austère même, d’une perfection presque étouffante plan après plan, Morse est une oeuvre d’art scandinave remplie d’énergie froide récompensée partout, et notamment à Gérardmer par le Grand Prix.

Le succès mondial de ce film (dont Hollywood a fait un remake tout pourri, bien sûr - Laisse-moi entrer, 2010), pourtant rare sur les écrans, a ouvert la voie d’une carrière américaine à Alfredson, qui a plus récemment appliqué son génie à dégommer la tradition du thriller d’espionnage dans La Taupe, une plongée machiavélique et hypnotique dans les couloirs du MI-6 qui fait passer James Bond pour un balourd mal dégrossi.


ROBERT MITCHUM EST MORT - O. Babinet & F. Kihn, Belgique

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Road trip un peu tristounet et absurdement drôle, ce premier film un peu bricolé est un trésor de sensibilité belge. Un manager escogriffe exaspérant d’obstination décide d’emmener son poulain, l’acteur triste Franky Pastor, vers la gloire internationale. Pour ce faire, il l’embarque dans une quête improbable à bord d’une voiture volée, direction le pôle nord, où un réalisateur mythique est censé les attendre. De panne de bagnoles en rencontres étranges en fulgurances esthétiques ("Le pôle ça va être beau : y a rien"), le film se construit autour du vide et fait naitre à la fois une jolie sensation de fraicheur, et une mélancolie profonde.

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