Chronique

Manzi te fait la leçon

Vers une pandémie croutmi

Cher lectorat (des pâquerettes), c’est mon 100ème papier pour L’Azenda et je ne peux même pas vous parler de ma passion pour le bouturage de jacarandas car mon boss m’impose d’écrire sur une terrible armada : les rastas blancas.

Thierry Robert commet une double erreur populiste quand il tire à blanc sur la politique de gros-blancs (*) en même temps qu’il lutte pour la baisse du prix des billets d’avion : il fausse le débat sur les vrais nuisibles réunionnais en même temps qu’il attire des charters de chevreuils – néo-hippies blancs aussi sales et dispensables que leurs aînés – qui pourraient bouleverser l’équilibre sociétal de La Réunion.

Cher député qui tâche, c’est trop tard pour raser ta moustache : un bouillon de culture capillaire, où prospèrent des formes de vie phyto-flippantes, infiltre tous les jours nos frontières au nez et à la barbe des douaniers. Le nouveau problème à La Réunion, ce ne sont pas les gros blancs, ni même les grands blancs, mais les rastas blancs.

C’est trop facile de faire diversion alors que ces barbares - devenus trop ringards même pour les teknivals de la frontière belge - ont trouvé refuge à Saint-Leu. Il suffit d’aller s’encanailler du côté des rondavelles pour croiser les rassemblements de ces cosmo-zonards d’apparence pacifiques mais hygiéniquement terrifiants.

Il faut plaindre les sans-abris, premières victimes d’un capitalisme sauvage mais est-il possible d’avoir de la sympathie pour ces néo-sauvages qui prétendent lutter contre l’ultralibéralisme en jouant aux clochards ? Cette invasion serait la preuve qu’on nous envoie toujours le pire de la France : les bretons, les kinés, les 3 Brasseurs et maintenant les rastas blancs.

Attention ! ILS arrivent

En Europe, les rastas-babtous sont devenus la risée de tous les centres-villes : ils passent pour des mecs costumés qui s’approprient des revendications d’une culture dont ils ne feront jamais partie vu qu’ils viennent pour la plupart des classes moyennes et que la seule oppression qu’ils aient connue, c’est celle de leurs parents qui les poussaient à faire des études de pharma.

De cette pression parentale ne subsiste qu’un penchant pour la pharmacopée cannabique sur laquelle se sont greffées des pseudos croyances où la culture de la ganja rivalise avec le culte de Jah sans oublier des incantations avec l’accent provincial pour Haïlé Sélassié qui sonnent comme des complaintes proches d’un « Ayé c’est la sieste ».

Hey bro, t’es dans une des dix premières puissances mondiales, tu fais partie des gens qui ont le pouvoir financier et culturel, tu as les journées du Patrimoine, le Puy du Fou et le zoo de Beauval avec des bébés pandas, et tu préfères te taper la honte à singer l’attitude d’un black, encore plus pauvre que ton vocabulaire.

C’est normal que les gens te « peace » à la dread, man ! Tu as beau être un expert de reggae roots et conchier des daubes commerciales comme Pierpoljak ou Tryo, personne ne te prend au sérieux, surtout qu’on t’a vu au dernier concert de Vanupié chez Tiroule…

Ne compte pas sur les vrais rastas renoi pour te défendre : ils se contrefoutent de tes vieilleries de bobo car ils écoutent du reggae contemporain, le genre de ragga pas très finaud qui dézingue les pédés, les putes et les ragondins hirsutes soupçonnés de cumuler ces deux tares. C’est vrai qu’on pourrait s’acharner sur d’autres erreurs de casting, comme les gothiques noirs par exemple, mais c’est moins marrant car ils sont moins nombreux et, globalement, ça en dit long sur comment c’est nul d’être blanc.

Voilà comment, après des années de souffrance passive, nos Baby Marley ont fui les quolibets et oublié leurs tocades dans les ZAD pour aller vérifier que le zamal est plus sensible au soleil. Nos Jean-Claude Dus de l’Exodus ont enfin trouvé leur Terre Promise : Hasta la vista Babylon, Bienvenida la isla de la Reunión !

L’île aux cyclones is the New Zion

Il est vrai que leur air toujours hébété peut irriter, comme si le fait de pouvoir respirer et penser à autre chose les étonnait tous les jours. Évidemment qu’on a envie de leur dire qu’ils ont l’air un peu cons avec leur bertel, aussi authentique que leur pantalon africain refourgué par un bazardier sénégalais qui daigne porter cette fausse sape traditionnelle les jours de marché.

Assurément, ils n’ont pas le sens du rythme pour prétendre taper sur des percus dans l’espace public, ni les poumons pour jouer du didgeridoo, ni le sens de l’effort pour proposer des belles routines de jonglage, ni les doigts assez propres pour devenir de vrais tatoueurs, ni assez d’estime d’eux-mêmes pour oser prétendre que les bolas peuvent être esthétiques, etc..

Mais j’ai la prétention de vous faire changer de point de vue

En effet, pour comprendre cette nouvelle peuplade, je suis allé demander l’avis éclairant de Trudy Laté, éminent ethnologue de l’Université de Bras-Mouton-les-Hauts et porte-parole du HCRRR (Haut Commissariat aux Réfugiés Rastas Rényoné) : Sur le plan anthropologique je pense que le rasta blanc, dont la forme locale est le toukouloute ou le croutmi, est une simple chrysalide. C’est un Européen qui est entré dans un processus de yabisation. Dans quelques générations, assagis et rougeauds, leurs enfants auront troqué l’africanité floue de leurs djembés et l’exotisme avachi de leurs braies bariolées vomitives pour des banjos et des bretelles, et ils chanteront le St-Leu longtemps dans un patois rustique. La majorité aura naturellement migré vers le sud à la recherche d’une vie toujours plus roots.

Je vous recommande vivement la lecture de son essai « Moi, moche et rasta » qui va vous convaincre que nos hères coreligionnaires ne doivent pas être assimilés à des punks à chien.

Honnêtement, qu’est-ce qui est le plus ridicule — leurs accoutrements grotesques, leurs goûts de chiotte et leurs vilaines manières, ou bien la façon que nous autres, les gauchistes-bon-genre, avons de mépriser des alliés objectifs du progrès ?

On est moins durs avec les winners en marche qui traitent les fonctionnaires de feignants et ne parlent que de défisc, comme si le fait d’écouter Benjamin Clémentine en buvant du Rooibos avec les pieds propres était ce qui définit le plus profondément notre mode de vie.

Reconnaissons que si nous les détestons alors que nous sommes un tas de veaux, ils ont au moins le mérite de nous faire un peu chier.

Sans déconner, des gens pas homophobes, fêtards, écolos, qui s’en branlent plus ou moins de faire carrière comme des trous du cul et qui sont pas racistes : c’est devenu rare. On devrait même leur faire des bisous.

Allez, un petit effort et on répète en chœur : Les hippies sont nos amis, il faut les aimer aussi.

Manzi et Trudy Laté

(*) Le 2 septembre, Thierry Robert « profitait » de son émission de radio pour proférer des horreurs : On est en train de faire une politique de copains coquins, une politique excuse à moins le terme Moin na point rien contre de moun na na couleur de peau blanc, mais moin mi tiens un discours comme moin na l’habitude, c’est une politique de gros-blanc, (…)