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Lever de rideau

Victoire Magloire ou l’optimisme

Le chaos d’une bataille rangée raconté comme un match de foot, un travesti déserteur, les pérégrinations d’un super soldat créole en quête de reconnaissance sur le front : bienvenue dans la Grande Guerre selon Didier Ibao. En suivant la trajectoire tragicomique du caporal Victoire Magloire, le dramaturge réveille la mémoire oubliée des 15 000 Réunionnais engagés dans le premier conflit mondial.

Tout ce qu’il voulait lui, c’est épouser Rolande. Seulement voilà, Victoire Magloire est pauvre, créole, et analphabète. Rudement éconduit par le père de la demoiselle et rejeté par l’armée où il comptait gagner le prestige et l’instruction nécessaires à sa bénédiction, il usurpe l’identité du caporal déserteur Ernest Waro. Commence alors un improbable parcours du soupirant combattant, promené de tranchées en boucheries tandis que son prête-nom planqué se travestit pour échapper au peloton d’exécution. 

Il y a de la fantaisie dans Victoire Magloire, dit Waro, imbroglio d’identités où deux comédiens changent de rôle comme on change son fusil d’épaule pour incarner tous leurs personnages. Sur scène, au milieu d’un public assis sur des gradins qui se font face comme deux tranchées, Ibao et Valérie Cros bricolent une Guerre Mondiale avec des idées de mise en scène et les tocades narratives de leurs auteurs, Sully Andoche et Barbara Robert. Quelques sacs de sable, des panneaux de direction, les mouvements stratégiques d’une bataille commentés comme un match de foot : ils déploient l’arsenal bric-à-brac du théâtre de rue et de la comédie pour faire rentrer la Grande Histoire dans leur petit budget. Mais ce souffle épique au ventilateur et la technique humoristique servent une documentation rigoureusement piochée dans les recherches de l’historienne Rachel Mnemosyne-Fevre. Et pour toutes ses libertés, la pièce décrit selon elle un "parcours-type de soldat réunionnais", qu’elle analyse dans une thèse rendue l’année dernière, et dont elle tirera bientôt un livre. 

Que diable allaient-ils faire dans cette Grande Guerre ?

Entre 1914 et 1918, 15 000 Réunionnais s’engagent sous les drapeaux pour défendre les trois couleurs à 10 000 kilomètres de leur caillou. Dispersés aux quatre coins de l’Europe et sur le front oriental, leur mémoire s’est longtemps perdue dans la confusion des massacres et l’indifférence. À Saint-Denis, où la population est largement accablée par la faim et dédaignée par la France, beaucoup de jeunes hommes s’engagent parce que l’armée est synonyme de repas réguliers, et pour obtenir la reconnaissance de la patrie, dont la propagande les empêche de voir qu’en réalité, ils font la queue pour l’abattoir. Ils se retrouvent ballottés de bataillon en régiment au gré des besoins ou des préjugés de l’Etat-Major, qui les suppose par exemple plus résistants au paludisme, et les envoie sur le front du Moyen-Orient où nombre d’entre eux mourra de maladie. 

Dans la fiction, Victoire Magloire n’aura pas plus de chance puisqu’aux yeux de tous et malgré ses hauts faits, le petit planteur du Brûlé qui voulait se faire un nom deviendra un héros sous celui de Waro. Entre faits réels et comédie populaire, dérision des vanités insulaires et critique d’une nation guerrière, Cros et Ibao gambadent en funambules sur le fil de l’Histoire.

Maëlys Peiteado / FG