
Maki Rasta
Son visage est tellement associé à sa musique que tout le monde, ou presque, l’appelle par son nom de scène. Si par hasard vous croisez les dreadlocks de ce chanteur, vous le remarquerez par vous-même, on l’interpelle de ce joli sobriquet de Maky. Derrière Maky Rasta, il y a pourtant un état civil, celui de Guy Randrianaina.
Tout commence en 1983. A l’époque, Maky « Guy » Rasta vit à Madagascar, dans le sud, là où il fait chaud et où l’on écoute le salegy à tue-tête. Accompagné de six comparses, il reprend des musiques traditionnelles malgaches et joue du reggae. Et puisque les rythmes jamaïcains de Bob Marley sont arrivés jusqu’à Fort-Dauphin, ils adoptent son look. Rasta pour tout le monde. « A l’époque, à Madagascar, un groupe de sept rastas, c’était choquant », explique Guy, dans un grand rire. Viennent les premiers concerts, et la nécessité de trouver un nom au septuor. Puisqu’ils sont malgaches, ce sera Maky (en hommage aux lémuriens de la Grande Ile), et Rasta, en guise d’adjectif, et en souvenir du surnom donné par leurs premiers spectateurs.
Maky « Guy » Rasta aurait pu se contenter de jouer à Madagascar. Mais le monsieur est voyageur. A tel point qu’en 1994, il est devenu italien, après s’être établi en Europe. Quatre ans plus tard, il reprend ses valises et arrive à la Réunion, pour découvrir d’autres rythmes et n’être pas trop loin des siens.
Entre temps, il a enchaîné les concerts, participé à plusieurs gros festivals en Italie, en France et en Suisse, joué au Donia de Nosy-Be, posé pour la marque de cuir Spidi Leather. Et puis il y eut aussi l’aventure Angaredo et cette world music faite avec des musiciens hétéroclites, italiens, ghanéens, français et sénégalais. Et Maky Rasta de conclure en une formule lapidaire : « Chacun amenait son truc, et on pouvait faire jouer à l’instrument un rythme qu’il ne connaissait pas ».
Car lorsqu’il parle de ses instruments, Guy Randrianaina en parle comme de personnes. Parce que pour lui, la musique ne peut être que transe, « un truc non racontable, inexplicable, dans lequel je me laisse aller ». Quand on l’interroge plus avant sur cette transe, Guy semble gêné, sans mot pour le dire : « la musique, elle sert à expliquer ce que tu as en toi, à montrer des trucs que les gens n’ont jamais vus ».
Maky Rasta est avant tout une affaire de rythme. Si les habitués reconnaissent aisément le salegy, ce rythme malgache qui servait autrefois – et sert encore, parfois – à appeler les esprits, les tromba, Maky Rasta réinterprète également des rythmes plus rares comme le tsapiky, un rythme ternaire typique du sud malgache ou le gesa gesa, un rythme sud africain. Les paroles des chansons sont quant à elles chantées en Antanosy et en Antandroy. Rares sont ceux qui parlent ces dialectes à la Réunion, et Guy Randrianaina prend plaisir à raconter cette anecdote : alors qu’il ne connaissait personne à la Réunion comprenant son dialecte, il rencontra, début 2000, Granmoun Lélé au cours d’un concert donné à Sainte-Marie. En discutant avec le chanteur disparu en 2004, et dont la mère était malgache, les deux musiciens se rendirent compte qu’ils parlaient tous les deux l’Antandroy…
Thématiquement, les chansons de Maky Rasta s’inspirent des préoccupations quotidiennes de la population malgache : vie politique, corruption, évolution des mentalités, cyclones, nostalgie du pays… Ce qui explique sans doute l’inclination de Guy pour des chanteurs comme Tiken Jah Fakoly ou Ismaël Lo.
Mais surtout, voir Maky Rasta sur scène, c’est découvrir un curieux instrument traditionnel, le marovany. De la même famille que le valliha de Tananarive (vous savez, cette cithare tubulaire vendue souvent aux touristes), il s’agit d’un instrument dont le son se rapproche du cora africain.
Formé d’une caisse en bois rectangulaire d’un mètre de long, le marovany est constitué de 22 cordes. Maky raconte, les yeux plein d’étoiles, que dans les soirées traditionnelles en brousse on chante et on tape dans les mains, au rythme de cet instrument quand on veut que les tromba viennent soigner et guérir les malades. Et d’ajouter, très sombre : « cet instrument exige le respect de tous ».
Celui qui n’a jamais vu Maky Rasta sur scène peut trouver ces propos étonnants. Maky Rasta n’est pourtant pas un chaman illuminé. Auteur de plusieurs albums (notamment Lah’Indringa en 2005), et entouré notamment de Laurent Augustin (basse), Didier Dijoux (batterie) et David Abrousse (percussions), il faut le voir sur scène pour appréhender pleinement la dimension spirituelle et corporelle (Katara et Lydia, deux danseuses, l’entourent souvent sur scène) de sa musique.
Un concert de Maky commence souvent ainsi : quelques rythmes tribaux, un sifflet comme dans les écoles de samba ; histoire de prendre les spectateurs par la main et de leur faire bouger les hanches. C’est la magie du groupe qui veut ça, dans les concerts de Maky, le public réagit au quart de tour. Dès lors, Guy peut commencer à les emmener loin, très loin et débuter sa transe.