Reportage

Alain Bègue

Des cerfs dans un cirque

Marla est à la fois l’îlet le plus élevé et, bien qu’assez vaste et très fréquenté des randonneurs, l’un des moins habité de Mafate*. Les terrains du plateau sont en grande partie laissés à la nature ou voués aux cultures et à quelques élevages. On y croise presque plus d’animaux que d’hommes. Et notamment un troupeau hors norme de cerfs ! Nous sommes partis à la rencontre d’Alain Bègue, propriétaire unique en son genre dans le cirque. Portrait.

Pragmatique, Alain explique :

« Jusqu’en 1996, j’élevais des bovins. Je suis passé aux cervidés parce que c’est plus facile. Il suffit de les laisser paître. Ça réclame moins d’espace, moins de travail et le prix de revente au kilo est plus rentable. La seule difficulté, ça a été surtout de faire les clôtures ».



Ce qui nous semblait être un élevage de passionné ou une sorte de lubie, un métier potentiellement compliqué - encore plus dans un îlet -, est en fait un choix raisonné, calculé, économique et productif. Alain n’est pas un poète. Il ne faut pas se fier à son air débonnaire. Il a la tête sur les épaules et c’est presque un businessman (sans costume cravate). Cet élevage, c’est une affaire parmi ses autres activités (il est aussi propriétaire de deux gîtes et d’une boutique). On repassera pour l’image de l’éleveur en osmose avec ses animaux. Elle est finalement aussi galvaudée à Mafate qu’ailleurs.

L’histoire de ce mafatais pure souche n’en reste pas moins remarquable. Né en 1969, 4ème d’une fratrie de 7 enfants (5 garçons et 2 filles partis en métropole), Alain a commencé à aider son père Sylvain à l’exploitation de bovins située à la Plaine des Tamarins dès ses 14 ans. Il donnait aussi la main à la pâte à l’épicerie-gîte familial au coeur de La Nouvelle. « 

Nos parents nous ont inculqué la valeur du travail ».

Aujourd’hui, le gîte porte son prénom (c’est la maison créole aux couleurs chaudes situé derrière la boulangerie) et c’est son premier fils, Jean- Philippe, qui s’en occupe. Les autres frères d’Alain ne sont pas en reste question ambitions : Jean-Yves tient le Tamaréo et Victor le Bistrot des Songes à la Nouvelle ; Sylvio quant à lui vient de construire le premier gîte haut de gamme de Mafate - le Bois de Couleurs - après avoir vendu il y a quelques années le Gîte des Trois Roches... à Alain venu vivre à Marla !



Ce dernier a en effet suivi sa femme dans son îlet d’origine en 1996. Après avoir monté la première boutique de Marla, lui viendra l’idée d’élever des cerfs. A ce moment là, les élevages de cervidés commençaient à se multiplier sur l’île car cette viande s’avérait assez recherchée et surtout consommée par toute la population contrairement au porc et bœuf. Il y aujourd’hui une trentaine d’exploitations du genre à La Réunion. Accessoirement, la superficie du terrain dont il disposait se prêtait mieux à ce type de troupeau.

« j’ai commencé avec 3 cerfs et une quarantaine de biches que nous avions fait venir des bas en hélicoptère. Maintenant j’ai une quinzaine de mâles et environ 150 biches adultes (vivant jusqu’à 12-15 ans). Je change le troupeau de parcelle tous les 10 jours pour que l’herbe puisse repousser. L’ensemble de l’exploitation, y compris la ferme de triage, occupe environ 25 hectares. Chaque année, 120- 130 faons (jeunes cerfs, de 13-15 mois), qui sont séparés de leurs mères vers 6 mois, partent à l’abattoir ».

Tant pis pour Bambi.



Reste qu’avoir une centaine de yeux de biches fixés sur vous lorsque vous passez sur un sentier, c’est franchement séduisant. Vous verrez le troupeau d’Alain en passant vers la chapelle située à l’entrée de Marla, en venant de La Nouvelle par exemple. Hormis en mai où elles mettent bas ailleurs sur un terrain plus reculé (en fait juste à côté du gîte de son frère), les biches sont regroupées sur l’une des parcelle qui sera, selon le jour, à votre droite ou votre gauche. Oubliez que ces ruminants ne sont là que pour produire de futurs civets ou carrys cerf et laissez vous enchanter par leurs déplacements aériens et graciles. Sous les contreforts du cirque, c’est un joli spectacle.

Texte et photos : Sand. Agence Zed

* Marla (1 645 m), l’îlet le plus haut de Mafate, est aussi le plus au sud du cirque. Autrefois peuplé d’une centaine d’habitants (le nom "Marla" signifierait "beaucoup de gens" en malgache), il accueille aujourd’hui une dizaine de familles, qui vivent principalement de l’élevage bovin, de la culture de lentilles et du tourisme.



L’installation des hommes à Marla est plus récente que dans d’autres îlets du cirque (comme Aurère) et c’est seulement lorsque des blancs ruinés ou sans terre venant de Salazie ont décidé d’y résider que le village est né. On aperçoit très bien le plateau depuis le Col des Bœufs ou le Taïbit, et c’est sans doute pour cette raison que les anciens esclaves en fuite ne s’y étaient pas installés. En effet, les chasseurs de primes traquant les « marrons » n’hésitaient pas à s’enfoncer dans les cirques pour débusquer leurs cibles. Une position aussi exposée n’était donc sans doute pas un choix intelligent.

Sources : Petit Futé, Réunion Paradis


Plus d’infos sur Marla : retrouvez notre reportage « Marla à contretemps » dans notre magazine Vavang n°6.

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