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Remodelage urbain

Saint-Gilles, paradis pédestre ?

Après l’esplanade des Roches Noires, la plage de Boucan est devenue en septembre entièrement piétonne. Ces deux chantiers pourraient préfigurer un projet de réaménagement complet de la première station balnéaire de l’île, en déclin depuis des années.

Crise requin, rues quasi désertes, plages vides, Forum en ruine, commerçants déprimés : autrefois joyau convoité du tourisme réunionnais, Saint-Gilles-les-Bains fait grise mine. Il y a deux ans, cerise vétuste sur le gâteau du déclin, l’esplanade des Roches Noires avait même fini par s’effondrer partiellement sous les assauts de la houle. La station balnéaire touchait le fond sablonneux. Mais cet affaissement symbolique a finalement sonné le signal d’une reconquête qui passe aujourd’hui par des travaux de rénovation, avec une stratégie claire : favoriser les espaces piétons.

Boucan / Les Roches : 1 partout

Désormais interdite aux voitures, l’esplanade rebâtie des Roches Noires est un peu l’emblème du nouveau destin après lequel toute la ville court. Promenade stylée face à la mer où les terrasses de bars et de restaurants s’étalent sans contraintes, boulevard familial de la poussette, des enfants à vélo et des chasseurs de couchers de soleil, concerts : l’ex-petite route bordée de camions bars s’est mise à la page d’un tourisme moderne et festif, et fait le plein tous les week-ends. De quoi susciter la convoitise des restaurateurs de l’autre plage sinistrée, Boucan Canot.

Mais pas de jaloux ! Pour dynamiser la « plus belle plage de l’île », la mairie a récemment décidé d’y empêcher la circulation des voitures, qui gênaient les déplacements entre la plage et les restaurants, et qui pourrissaient souvent l’ambiance à base de passages au ralenti-dentelle avec les caissons de basses poussés au max. Sols refaits, repeints, silence paisible, rondins tout neufs et piéton roi : le Boucan nouveau reprend la même recette, en espérant les mêmes effets. Et les premiers résultats sont déjà visibles. Il n’y a qu’à observer le défilé des gamins à vélo et des flâneurs au moment du coucher de soleil pour s’en convaincre. De quoi redonner le moral aux commerçants du coin : quelques semaines après l’achèvement des travaux, La Case Bambou, principal restaurant de la plage, aurait déjà récupéré 80% des emplois détruits depuis le début de la crise requin. Et plus loin, c’est tout Saint-Gilles qui pourrait demain bouder l’auto.

Ville Trottoir

Lancé en septembre, le plan de requalification du centre-ville de Saint-Gilles prévoit en effet de « permettre aux usagers de reconquérir l’espace public ». Dernière rengaine de l’urbanisme à visage humain, cette « reconquête » marche toujours dans le même sens : rétrécir les routes, agrandir les trottoirs au maximum et créer de nouveaux espaces piétons, comme c’est le cas dans la majorité des grandes villes de France. « Mais attention, prévient Patrick Florès, maire adjoint de St-Gilles, il ne s’agit en aucun cas de rendre le centre-ville piéton. On parle plutôt d’agrandir les trottoirs, où aujourd’hui les gens ne peuvent même pas se croiser. C’est une aberration : il n’y a pas de station balnéaire dans le monde où on ne peut pas flâner. »

Pas de tout piéton donc, mais peut-être une modification de la circulation pour transformer la rue principale en axe à sens unique, du nord au sud. Dans l’autre sens, le trajet emprunterait l’actuelle voie de contournement par la nationale pour créer une boucle. Des parkings en silo seraient également créés aux entrées du centre, mais leur emplacement reste pour l’heure inconnu. « On ne forcera la main à personne » assure M. Florès, qui insiste sur le fait que son projet n’est qu’en « phase de concertation, avec un début des travaux qui n’arriverait que dans 4 à 5 ans. » Autant dire l’éternité plus un jour quand il s’agit d’urbanisme à La Réunion. Sa prudence témoigne en outre du fait que malgré le volontarisme, le dialogue n’est pas toujours évident avec des commerçants, qui restent convaincus que toute contrainte, même légère, sur la circulation des voitures aura un effet dissuasif pour leur clientèle – blocage tenace, et qui fait capoter depuis 15 ans tous les projets du genre.

Pour l’heure, les principaux axes annoncés pour le projet sont les suivants : rénover et créer du lien entre la place du Forum et celle de la librairie des Roches Noires ; créer une promenade sur les bords de la Ravine Saint-Gilles ; ouvrir la place Julius Bénard, avec son marché et ses restaurants, sur le port et la ravine ; agrandir considérablement les trottoirs des rues de la Poste et de la Plage, qui conduisent des Roches Noires vers la rue du Général de Gaulle, qui serait elle aussi végétalisée. Si le projet se confirmait dans sa forme actuelle, les premiers travaux débuteraient fin 2018.

Ti pa ti pa

« Dans l’intervalle, nous n’allons pas rester sans rien faire ». M. Florès veut du concret, rapidement, à petite échelle. « Nous avons commencé par Boucan parce que c’est là que la crise requin a commencé, et parce que c’est d’abord là qu’il faut la vaincre. Le projet de rénovation n’était pas pharaonique, avec un coût inférieur à 300 000€, et a déjà permis de faire bouger les choses. Dans la même logique, nous allons mettre à niveau la place du marché de Saint-Gilles, où il n’est pas possible aujourd’hui d’aller faire ses courses sans trébucher, et faire des efforts d’animation et de sécurisation sur le littoral… »

Premiers seaux ajoutés au château de sable du divertissement balnéaire : la création des scènes Kabar (lire encadré) et la relance des sports de plage à Boucan, sous l’impulsion de l’Association Réunionnaise de Tennis Volley et de Beach Tennis (ARTVBT), qui installe désormais tous les jours des terrains ouverts aux adhérents, avec le soutien de la municipalité. En attendant de voir ce que l’avenir réserve au parent riche déshérité de la côte ouest, le chaland flâneur pourra donc désormais promener son temps libre aux Roches Noires et à Boucan, trésors de la côte enfin rendus à la vie après de longues années moroses.