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Découverte par le grand public à la faveur de vidéos virales spectaculaires dans les plus beaux paysages de l’île, la slackline en altitude attire un nombre croissant d’amateurs de sensations fortes. Mais les sorties les plus extrêmes restent réservées à un noyau dur d’équilibristes doux dingues. Portraits d’un sport extrême à travers quatre pionniers.

Ils sont un peu les enfants de Tenzing Norgay et de Philippe Petit – le premier homme à avoir escaladé l’Everest, et le funambule risque-tout qui, en 1981, a marché sans filet entre les Tours Jumelles de New York. La communauté des slackers réunionnais ne cesse de grandir. Chaque week-end, ils sont plus nombreux à se promener en équilibre plus ou moins précaire sur des lignes tendues entre les arbres qui bordent les plages, mais ces démonstrations anodines à un mètre au dessus du sable ne sont que la sage vitrine d’un sport extrême qui se joue loin des regards, en altitude, entre les reliefs les plus vertigineux ou au dessus des eaux les plus turbulentes.

Oubliez donc les plagistes coquettes prêtes à tous les gadins pour travailler leur périnée et gainer leur abdomen : les deux pratiques reines de la slack sont la highline et la waterline. Comme leurs noms l’indiquent, il s’agit de marcher en équilibre sur des lignes tendues en hauteur, au-dessus du vide, ou au-dessus de l’eau. Inconnues du grand public il y a encore quelques années, ces hobbies casse-cou font aujourd’hui l’objet de vidéos virales foldingues qui mettent en scène les plus beaux paysages de l’île.

En juin dernier, le funambule Nathan Paulin a établi dans les brumes de la Rivière de l’Est un nouveau record du monde de highline : 403 mètres parcourus sur un câble tendu à 250 m au dessus du sol – record largement battu quelques jours plus tard par le même homme à Millau, dans le sud de la France. Mais les slackers péi n’ont pas attendu l’arrivée de ce professionnel sponsorisé pour « ouvrir des lignes » dans les Hauts. Depuis 2011, des groupes de passionnés, hommes ou femmes, organisent régulièrement des expéditions de plusieurs jours en montagne pour fixer des appuis et tendre leur fil entre les pics les plus grandioses des trois cirques.

Nous avons rencontré ces pionniers d’une communauté en expansion, et ceux qui tentent aujourd’hui d’organiser ce mouvement dont la popularité croissante va sans doute impliquer qu’il se structure. Car le vide défié par les slackers est aussi juridique. Comme de nombreux sports extrêmes, la slack est peu réglementée, dénuée d’encadrement, et encore souvent pratiquée en autonomie.

Bertrand Aunay - Le Précurseur

Sûrement l’un des premiers slackers de La Réunion, Bertrand découvre la highline en regardant une vidéo extrême des Bad Slacklinners, aujourd’hui Flying Frenchies, dont un membre est un ancien compagnon de corde, actif dans les Alpes aux Aiguilles du Diable. Impressionné, ce grimpeur aguerri, amoureux de la montagne, veut tenter le coup. Il s’entraîne d’arrache-pied pendant trois mois, cherchant à maintenir son équilibre. Comme tout débutant, et malgré son désintérêt total pour cette catégorie de slackline, il s’exerce sur le sable à partir d’octobre 2010, avec des lignes de 10 à 15 mètres. Puis dès qu’il en a l’occasion, en sortant du travail, chez des amis à l’apéro, il monte sa ligne dans le jardin. Il est, de son propre aveu, devenu « boulimique ». En janvier 2011, avec ses partenaires Adrien Monges et Baptiste Barbier, il installe la toute première highline de La Réunion (dans le jargon, on dit « ouvrir une ligne »), au sommet des Trois Salazes, entre les cirques de Cilaos et de Mafate. Partis à 12h de Saint-Denis, il leur a fallu une journée entière, sous la pluie, pour monter, percer la roche et fixer les ancrages d’une installation achevée à la frontale. Bivouac sur place en attendant le lever du jour et le lendemain, Bertrand se jette à l’eau : « Je suis le premier à être passé, c’est histoire de tester la ligne mais nous étions sûr de notre équipement. C’était fabuleux. »

Les Trois Salazes culminent à 2100 mètres d’altitude. À cette hauteur, les risques sont énormes. Le vent, les éboulis et surtout l’inattention sont les pires ennemis des slackers. En plus d’être équipés de casques et de baudriers, la plupart du temps, Bertrand et ses acolytes disposent d’un « back-up » : une deuxième corde, située sous la première et reliée à d’autres points d’ancrage, qui sert à se rattraper en cas de chute. « Ce n’est pas parce que nous avons confiance en notre matériel que nous n’avons pas peur. C’est une sensation particulière, mais c’est toujours mieux que d’être enfermé dans une salle de sport. ». Presque seul à tenter ce genre d’exploits à La Réunion il y a encore quelques années, Bertrand Aunay ne revendique aucun monopole : « Le niveau de la slack a complètement explosé. Si nous ne l’avions pas fait, de toute façon d’autres si ». Leur grande première en 2011 avait été filmée et diffusée sur Youtube, mais ce n’est que deux années plus tard, à l’occasion d’une autre traversée de la ligne des Trois Salazes que la slack made in Réunion est apparue sur les radars du grand public (lire après).

Kevin Borg - L’homme du réseau

Avant la slack, Kevin a pas mal bifurqué entre l’escalade, qu’il a laissée pour son esprit trop compétitif, et le surf, abandonné pour les raisons que l’on sait. C’est à la plage qu’il découvre la discipline, avant de s’investir à fond, et de créer la première page web complète sur le sujet à La Réunion. Sur Slackline974, Kevin référence les lignes ouvertes sur l’île, prend des photos des ancrages déjà en place et explique l’accès aux différents lieux. Seule une soixantaine de lignes sont aujourd’hui répertoriée sur son site, mais il s’efforce de le mettre à jour. Sur une carte interactive, initiée par Bertrand Aunay, il géolocalise les prochaines sorties avec un descriptif du rendez-vous, la difficulté de la ligne et le matériel nécessaire pour la monter. Avant, le bouche à oreille servait à fixer les rendez-vous des slackers mais grâce à ces nouveaux outils, « y a plus qu’à imprimer les topos et profiter de sa journée ». En ligne, il publie aussi des tutoriels pour les débutants, dans lesquels il décrit à sa façon les noeuds ou encore les manipulations de la corde. « Pour mettre en place sa slack, chacun a sa méthode. C’est un sport nouveau et il n’existe pas encore de règles universelles dans l’installation des lignes. Moi, j’ai confiance en la mienne mais d’autres diront qu’elle n’est pas assez sûre. Pour l’instant, tout le monde apporte son expérience, on fera le tri après ». 

Slackers de highline ou waterline, ça ne s’invente pas et une formation préalable est vivement conseillée par les différents pratiquants. Avec ses tutos, Kevin espère qu’il limitera les accidents chez les novices qui partent en solitaire. « La difficulté n’est pas de trouver les lignes à ouvrir mais bien un coéquipier qui a les compétences requises pour s’y aventurer. ». Certainement l’un des slackers les plus actifs de La Réunion, Kevin Borg a ouvert à lui seul beaucoup de lignes. En bon connaisseur du terrain, il a même été contacté par l’équipe de métropolitains de Nathan Paulin, détenteur du record du monde de traversée en juin dernier. « Ils avaient peu de temps et voulaient savoir ce que je pouvais leur proposer comme sites pour ne pas en manquer ». À peine rentré de Nouvelle-Zélande, où il a étudié l’anglais pendant plusieurs mois, il énumère ses projets de sortie avec avidité. Des fourmis plein les jambes, il annonce déjà son prochain projet : une high-line au mini Trou de Fer. Mais avant, des lignes en solo, par ci par là, histoire de se retrouver la forme. Loin du trip records et compétitions, qui l’a complètement détaché de l’escalade, Kevin recherche l’esthétisme. Pour les Trois Salazes, l’une de ses préférées, il décrit un paysage « hypnotisant ». 

Jean Galabert - Buzz & vidéo

Jeune sportif hyperactif, Jean Galabert est le premier à avoir fait le buzz avec une vidéo de highline 100% locale. Filmée comme le simple souvenir d’une sortie sur la ligne des Trois Salazes, Own land devient virale dès sa mise en ligne en 2013 et, avec 70 000 vues au compteur, offre une vitrine internationale à la slack réunionnaise. Un succès inattendu que Jean, modeste, tempère : « C’est beaucoup à l’échelle de l’île mais un grain de sable sur la toile ». Il fera peut-être mieux avec son prochain film, Santié domoun, réalisé cette fois dans des conditions semi-professionnelles. Entouré par des membres de l’association Slack’R et épaulé par l’entreprise Drone Copters, spécialisée dans l’imagerie aérienne, il suit dans ce court-métrage différents slackers pour un tour de l’île des lignes situées dans ses paysages emblématiques. Au-delà de la slack, son objectif est de faire découvrir au monde entier le décor où évoluent les funambules : « Le potentiel est énorme a la Réunion. Je veux que les gens voient ce film et se disent : ’Ok... Je dois impérativement visiter cette île’. Selon moi, la carte des sports extrêmes n’est pas assez jouée par la Région et l’IRT ». Présenté pour la première fois le 17 octobre dernier lors du Zot Movie Festival (lire encadré), Santié domoun a obtenu le prix du meilleur film.

Nicolas Fok Cheong - La voix de la sagesse

Il a longtemps été l’un des plus grands espoirs du bodyboard réunionnais, mais Nicolas Fok Cheong a été brutalement éloigné des vagues après les premiers drames de la crise requin. Reconverti dans la slackline, il conserve le lien avec l’eau en se spécialisant dans la waterline, et fonde il y a moins d’un an l’association Slack’R pour structurer ce sport qui doit faire face à l’afflux massif de nouveaux pratiquants. Créée en novembre 2014 pour initier les débutants et encadrer les sorties des confirmés, Slack’R est l’asso qui comprend le plus d’adhérents sur l’île aujourd’hui. Le noyau dur, devenu un groupe d’amis, pratique la slack depuis environ quatre ans et organise via différentes pages Facebook les sorties en montagne ou dans des bassins. L’un des objectifs de Nicolas est de sécuriser la pratique en orientant les nouveaux slackers vers des lignes qui correspondent à leur expérience. Pour lui, La Réunion a encore beaucoup à apprendre : « En France, c’est beaucoup plus démocratisé et depuis plus longtemps, alors le niveau n’est pas le même ». Bien sûr, l’île est riche en « spots magiques » qui poussent les sportifs à viser toujours plus haut, et plus loin.

La responsabilisation du mouvement paraît indispensable pour éviter les accidents qui donneraient du sport une mauvaise image, mais aussi pour crédibiliser la pratique face aux assurances ou aux autorités du Parc National des Hauts, dont l’accord est indispensable pour ouvrir légalement des lignes sur son territoire. En l’absence de législation spécifique, beaucoup sont encore installées discrètement, sans autorisation. Nicolas parle alors de « slack marron ». Malgré l’attrait des lignes spectaculaires dans les montagnes, Nicolas préfère quant à lui évoluer au dessus de l’eau. Maître nageur à la piscine de Vue Belle à La Saline, il a même ouvert un créneau d’initiation après avoir tenté, un jour, d’installer une ligne au dessus du bassin. Tous les dimanches matins, de 8h à 10h, débutants et habitués peuvent venir s’y exercer.


Lancez-vous !

Vous aussi, vous pouvez jouer les funambules. Mais avant de prendre le chemin de la montagne, il est indispensable de s’entraîner et de bien maîtriser les bases de la discipline. Voici les adresses indispensables pour démarrer dans les bonnes conditions : 

L’association Slack’R
50 Rue Jean Albany – 97422 La Saline
0692 60 01 97
slackr.reunion@gmail.com
Facebook
Piscine de Vue Belle
Ateliers Waterline tous les dimanches matins, de 8h à 10h
Chemin Jonction à La Saline Les Hauts
0262 22 43 74
Slackline974
Le site qui référence les lignes ouvertes, centralise l’info et apporte des conseils précieux
www.slackline974.org
Facebook
slackline974@gmail.com