Reportage

Julian, tisaneur en herbes

Il se dit descendant des premiers habitants de Madagascar, magicien des plantes et des tisanes. Et il a développé une vision de l’économie qui n’appartient qu’à lui.

Stratégiquement placé à l’entrée sud du marché depuis une bonne vingtaine d’années, Julian a l’œil d’un mirador malicieux. Il alpague les passantes à la taille fine, lance un retentissant : « Vous voulez rester aussi belle toute votre vie ? J’ai ce qu’il vous faut ! » Il a la dégaine des sages qui ne se prennent pas au sérieux, généreux en savoir et en bons mots. Le torse nu dans des vêtements dépenaillés devant ses tisanes séchées parsemées d’affichettes affranchies de toutes réformes orthographiques, il est comme à la maison. C’est que le bougre connaît le métier, ce descendant d’une longue lignée de tisaneurs affirme posséder un don inné «  qu’on n’apprend pas dans les écoles d’infimières  », il peut donc se permettre quelque assurance.

De la cueillette au séchage, jusqu’au mélange, Julian s’occupe de toutes les étapes du processus. A la manière d’un druide, c’est en pleine forêt qu’il trouve ses ingrédients : «  Dans ma pensée, la forêt n’appartient pas à cet organisme qu’on appelle l’ONF. La forêt fait partie de nos ancêtres esclaves, du Tsilaosa. Comme je suis un descendant des sakalavas, les premiers habitants de Mada, je pense que j’ai accès à cette forêt que l’Etat demande pour lui. »

Si la majorité de ses fabrications suit le fil de la lignée familiale pour traiter le diabète, l’eczéma ou le cholestérol, il se permet des concoctions d’inspirations nouvelles, comme ces fagots Bien-être : « Pour ce petit mélange-là, j’ai testé et les gens, après avoir goûté, m’ont dit : « Ca marche ! » Ils dorment mieux, sont moins stressés, moins angoissés et ils en redemandent. Du coup, c’est moi qui me retrouve débordé. » Mais s’il dit s’être lancé de lui-même dans ces essais, il n’oublie pas de créditer une alliée de poids : « Avant de couper une plante, j’invoque l’intelligence de la Nature. Je lui lance un appel et attends de ressentir la réponse. » Une méthodologie sans doute réprouvée par l’OMS mais qui n’altère en rien ses ventes, ses tisanes partent comme des petits pains à 5€ la mezur. Un tarif si fixe qu’il questionne sur sa légitimité. « Pour moi, le chiffre 5, c’est important. Les cinq sens, les cinq formes platoniciennes, la majorité des fleurs ont cinq pétales, les cinq chakras, l’étoile à cinq branches, les cinq notes noires de la musique. Parfois, il y en a même qui disent « je te reçois cinq sur cinq », c’est pas pour rien. Après, je peux citer des centaines d’exemples comme ça. » Sans doute en trouverait-il même 500.

Au milieu de tous ces cinq, une tisane dénote avec sa pancarte 4€. « Celle-là, il y a pas mal de gens qui en ont dans leur jardin, on n’est pas là pour arnaquer. » Il ne lâchera pas les noms des tisaneurs moins scrupuleux mais cet égard pour sa clientèle lui vient d’avant le marché, à l’époque où ces herbes frimaient dans des packages tape-à-l’œil dans les hôtels et les festivals. C’est ce même égard qui lui fit opter pour un retour à la simplicité d’un étalage d’herbes où prime la discussion, l’échange de savoirs. « Tant qu’on garde des choses il n’y a plus de place pour acquérir des connaissances. Alors il faut vider, faire de la place. Quand on donne, on reçoit  ».