Reportage

Jeu de pistes

Mussard, la peur aux trousses

«  Présent convenable aux services qu’il a rendus  ». Selon les archives départementales, ce fusil a été offert à François Mussard par la Compagnie des Indes en 1754, pour le remercier des efforts fournis au cours des 12 années passées au commandement d’un détachement colonial spécialisé dans la chasse aux esclaves en fuite.

Ces derniers, de plus en plus nombreux à partir de 1730, étaient alors un motif d’inquiétude pour les autorités locales. Rassemblés dans les hauteurs, organisés en camps, ils étaient contraints par le manque de vivres et, parfois, de femmes, à descendre sur le littoral pour des razzias qui semaient l’effroi dans la bonne société réunionnaise. Pour répondre à ces inquiétudes, des groupes de chasseurs furent mis sur pied, entretenus par la communauté et rémunérés parfois en esclaves. Celui de Mussard n’était pas le seul mais ses hommes, silencieux et entraînés, capables de recharger leur arme sans interrompre leur course, avaient la réputation d’être les plus efficaces. C’est qu’à la différence de nombre de ses confrères, Mussard n’était pas un novice. Avant d’être pourvu d’une fonction officielle, ce petit-fils de colon était déjà célèbre pour avoir conduit, de longues années durant et sans que le gouvernement n’ait besoin de l’y encourager, des chasses spectaculaires.

Hommes, femmes, enfants : les esclaves libres étaient traqués sans distinction par ce chef d’escadre décrit comme «  infatigable  ». Ses expéditions punitives pouvaient s’étendre sur plusieurs semaines et à travers les trois cirques, liquidant camp après camp avec un acharnement implacable. On lui attribue ainsi l’exploit douteux d’avoir « purgé » la quasi totalité des cirques de ses campements d’évadés, et la légende veut qu’il se soit personnellement chargé d’exécuter leurs plus grands chefs, comme Mafate ou Cimendèf . Les noms de ses victimes baptisent aujourd’hui de nombreux reliefs de l’île. La légende dit aussi que, pris de remords à la fin de sa vie, l’exécuteur aurait consacré ses vieilles années à l’entretien de la chapelle familiale Notre Dame des Anges , avant d’y être enterré. Aujourd’hui disparue, cette petite église s’est certainement tenue sur l’actuel Square de l’Appel du 18 juin, à St-Paul.

Suivant le Code Noir, en vigueur lorsque Mussard sévissait encore, on coupait l’oreille ou marquait au fer rouge de la fleur de Lys, symbole de la royauté, les esclaves capturés. Mais c’est surtout la mort qui attendait les assoiffés de liberté. Les registres de détachement stipulent que les chasseurs avaient l’obligation de crier au moins trois fois l’ordre de s’arrêter à un esclave en fuite avant de pouvoir faire feu, mais cela ne colle pas avec certains récits de chasse, qui décrivent des esclaves exécutés en file. Les blessés, considérés comme un fardeau encombrant, étaient le plus souvent abattus de sang froid. On leur tranchait ensuite la main droite, que l’on ramenait comme preuve en échange d’une récompense. À St-Paul, ces sinistres trophées étaient cloués, à titre d’exemple, aux grands pieds de tamarin qui surplombaient alors le Square du 18 Juin.

Longtemps connu sous le nom de Place d’Armes ou Place du Tribunal, ce carré propret, souvent désert aujourd’hui, a était alors le lieu où s’exécutaient les sentences publiques, nombreuses au cours de la longue carrière de François Mussard. Une plaque conserve désormais la mémoire de ces années meurtrières. Y sont inscrits les noms des esclaves qui, en 1811, menèrent la révolte de St-Leu. Sculptés dans la pierre, leurs visages semblent surgir de la stèle, mélange de rage, de fierté et de douleur. C’est ici que, le 15 avril 1812 à 15 heures précises, Elie, Gilles, Zéphir et Paul tombèrent aux quatre coins de la place, devant les yeux d’une foule d’esclaves contrainte d’assister à leur décapitation à la hache. Théâtre funeste de brutales mises à mort, ce lieu a également marqué la fin d’une autre légende réunionnaise, le flibustier auquel sa faculté à fondre sur ses proies comme un rapace a valu le surnom de La Buse.


Mafate

Connu jusqu’au XIXe siècle sous le nom de Cirque de la Rivière des Galets, Mafate tient probablement son nom actuel de l’un de ses premiers habitants, le chef d’un camp marron, baptisé « Celui qui tue » en langue malgache. Il se serait installé avec quelques autres au niveau de l’îlet Alcide. Facilement accessible aujourd’hui, l’Îlet se situe sur une boucle de randonnée de 5,6 km. Son point de départ est indiqué sur la route forestière du Maïdo. Comptez 2h30 à 3h de marche.
Plus d’info sur www.ouest-lareunion.fr

Cimendef

Frontière entre Salazie et La Possession, ce piton culminant à 2228 mètres tient son nom du plus célèbre marron réunionnais. Traduit littéralement depuis le malgache, Cimendèf veut dire « non-esclave ». Installé dans le cirque de Mafate, il aurait selon la mémoire orale fondé un royaume dans les cirques. Son histoire est relatée dans le long poème Vali pour une reine morte, de Boris Gamaleya, une œuvre fondatrice de la littérature réunionnaise.

Square de l’appel du 18 juin

Autrefois connue sous le nom de Place du Tribunal, le square qui s’étend entre l’hôpital et l’église de St-Paul est aujourd’hui un lieu où les mémoires et les mémoriaux s’empilent : son nom célèbre les résistants de la 2e Guerre Mondiale, le monument posé en son centre est dédié aux morts saint-paulois de la Der des Der, et un autre rappelle les crimes de l’esclavage en célébrant les meneurs exécutés de la révolte de St-Leu. Selon les sources disponibles, c’est aussi sur cette place que François Mussard fit bâtir sa petite chapelle Notre Dame des Anges, avant d’y être enterré. Celle-ci est souvent confondue avec une autre, du même nom, située à l’endroit où se tient aujourd’hui la mairie. L’amalgame est compréhensible : assez proche, également détruite depuis longtemps, cette chapelle plus ancienne appartenait à un autre François Mussard, homonyme et aïeul du chasseur d’esclave.